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Expérience(s)

Nydia Blas

Par Grégoire Triau – Collectif La Friche
21 novembre 2025
© Grégoire Triau

Dans le cadre du programme City/Cité, une bourse d’échange Atlanta/Marseille née d’un partenariat entre la Villa Albertine et la Friche Belle de Mai, Nydia Blas a poursuivi un travail photographique où la proximité avec le sujet est remarquable, et qui s’est sensiblement enrichi au contact de la cité phocéenne. 

Est-ce que tu peux nous parler de ton travail, aux États-Unis ? 

Mon travail habituel porte essentiellement sur la représentation des femmes de descendance africaine. Je suis portraitiste, pour des journaux comme The NY Times ou The New Yorker, et j’enseigne la photographie à Spelman College [université privée, historiquement réservée aux femmes, ndlr]. Ce que je cherche surtout à faire c’est susciter des discussions sur les choses qui m’interpellent. 

Aux États-Unis le débat à propos de la race est déjà engagé. On admet un spectre large de ce que signifie, par exemple « être noir·e » La réponse à cette question varie. J’habite à Atlanta depuis quelques années, et l’histoire de cette ville et de l’état de Géorgie est très fortement reliée à l’esclavage, plus que dans le nord. Mon travail s’inscrit de manière particulière dans ce contexte. 

J’ai toujours pensé qu’il pouvait y avoir une certaine magie dans les choses, tant qu’on décidait d’y croire.  Visuellement, c’est pour moi une manière de résistance, de transformer un monde difficile à vivre.

Est-ce qu’à ce propos, tu perçois des différences entre Atlanta et Marseille ? 

Aux États-Unis l’esclavage, le système esclavagiste, a détruit les liens que les personnes avaient aux cultures dont elles héritaient ; il est difficile de retracer ces liens. Ici beaucoup de gens m’ont dit « je suis des Comores, » ou « je suis Algérien·ne » C’est quelque chose que j’ai trouvé beau à entendre. Mais je dois être honnête : je ne vois pas cette diversité représentée dans les espaces où je travaille. Je vois des gens beaux mais je ne les vois pas en positions de pouvoir. À Atlanta, malgré les écarts de richesse, il y de nombreux postes à la ville et à la mairie occupés par des afro-descendant·es, par exemple. 

Au deuxième jour de ma résidence ici, la conversation à table s’est sur orientée sur la laïcité, et j’ai eu les larmes aux yeux en comprenant que les jeunes filles ici ne pouvaient pas porter le hijab à l’école. C’était dur à entendre ! J’ai senti que cet idéal d’égalité pouvait être beau aussi. Sauf qu’il affecte les gens de manière disproportionnée, et qu’il aboutit à des ciblages. 

Ton travail fait naître une certaine magie des choses que tu photographies, est-ce que c’est ce que tu recherches ? 

J’ai toujours pensé qu’il pouvait y avoir une certaine magie dans les choses, tant qu’on décidait d’y croire.  Visuellement, c’est pour moi une manière de résistance, de transformer un monde difficile à vivre. On peut croire le monde à bout de souffle, on peut aussi croire que les gens vont se lier de plus belle. D’autant que le portrait apporte une cohésion, une forme d’intimité propre. 

J’ai beaucoup joué sur la lumière, les ombres. J’ai aussi fait beaucoup plus de natures-mortes que d’habitude, des mises en scènes d’éléments que je collectais dans la rue : des fruits, des morceaux de miroir, des jouets etc. Et la mer, en particulier, est un élément qui contribue à cette magie, ici : elle porte aussi en elle le mouvement, les allers-retours, l’immigration. 

Comment est-ce que tu as pu, dans ton travail pendant la résidence, à la fois sonder cette magie des choses, et ce que tu décelais des rapports sociaux ? 

Avant de venir j’avais fait quelques recherches et contacté des personnes je voulais rencontrer. Hormis ça, j’ai passé beaucoup de temps à simplement regarder, observer, avant de parler aux gens. Je m’asseyais longuement avec elles·eux, on partageait cet espace, je leur posais des questions : sur leur vécu, l’immigration, les droits du sol, la manière dont les gens s’approprient un territoire et décident pour les autres. 

La majeure partie de mon travail c’était la question de la visibilité. Les gens attendent de moi que je donne de la place aux regards, aux yeux… le portrait nous humanise. Mais dans le cas présent, j’ai eu besoin de rendre ça autrement, de représenter le manque d’inclusivité en montrant des regards détournés, comme si les modèles disaient : « tu ne peux pas me regarder ». Je n’avais pas besoin de leur « rendre leur humanité » et certainement pas de le faire à leur place. 

DÉCOUVRIR LE TRAVAIL DE NYDIA BLAS
Instagram : @neeksiebeeks
Site internet : https://nydiablas.com/

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