Bienvenue à la Friche
Aujourd'hui vendredi 6 déc.
Au XIXe siècle, la Manufacture des Tabacs de la Belle de Mai est le siège de l’une des plus importantes fabriques de France. En 1860, l’établissement, à cette époque située rue Sainte près du Vieux-Port, est le premier employeur de la ville et la deuxième manufacture de France, derrière Paris.
La manufacture confectionne (entièrement à la main) près de cent millions de cigares par an. En raison de l’insalubrité de ses locaux, la manufacture des tabacs quitte en 1868 la rive sud du Vieux-Port pour s’installer à la Belle de Mai, à côté de la raffinerie de sucre Saint Charles.
L’usine, longeant la voie ferrée, connaîtra ensuite plusieurs phases d’agrandissement liées à l’augmentation de la consommation de cigarettes et à l’évolution des modes de production (électrisation progressive des machines).
Après avoir produit cigares et scaferlatis, la Manufacture des Tabacs de la Belle de Mai, qui appartient à la SEITA, se spécialise dans les années 50, sous l’injonction d’une nouvelle stratégie industrielle décidée à Paris, dans la production de cigarettes Gauloises et Gitanes.
Au début des années 60, elle produit environ 1/5e des Gauloises alors consommées en France. Mais la mode est au tabac blond, de 1000 salariés en 1960, l’usine passe à un effectif de 250 en 1988, deux ans avant sa fermeture définitive.
La Friche la Belle de Mai a le nom de son quartier : la Belle de Mai, 3e arrondissement de Marseille. Mais son histoire commence en 1990, dans un autre quartier.
En connivence avec Christian Poitevin, alors adjoint délégué à la culture de la Ville de Marseille, Philippe Foulquié et Alain Fourneau, respectivement directeurs du Théâtre Massalia et du Théâtre des Bernardines, investissent une ancienne graineterie du Boulevard Magallon, dans le 15e arrondissement, et créent Système Friche Théâtre : il s’agit de poser autrement les enjeux de production artistique et pour ce faire de dégager de l’espace et du temps pour les artistes.
En avril 1992, SFT déménage et investit l’ancienne Manufacture des tabacs de douze hectares qui surplombe le quartier populaire de la Belle de Mai. Elle établit avec la SEITA, propriétaire, une convention d’occupation précaire à titre gracieux. Cet ensemble architectural imposant et exceptionnel est l’un des derniers témoins de l’apogée industrielle de la cité phocéenne que la crise économique a déconnecté de son environnement. Comment ré-ancrer ce morceau de ville dans la cité ? Cultiver un territoire est une entreprise délicate : à l’image de la nature qui progresse dans l’instabilité et l’imprévu, rien ne doit être figé. La Friche s’engage donc à bâtir des cadres qui n’enferment pas.
Le principe fondateur du projet est tout entier autour du rôle de l’artiste, selon le processus l’artiste, la ville, sa ville
Philippe Foulquié, fondateur de Système Friche théâtre
Au fil des mois, d’autres producteurs, opérateurs culturels et équipes artistiques vont rejoindre le projet Friche. En 1995, c’est avec l’architecte Jean Nouvel que la Friche élabore un Projet Culturel pour un Projet Urbain visant à ne plus séparer les dimensions culturelles et urbaines. La présidence (1995-2002) de Jean Nouvel permet d’imposer l’idée de la permanence artistique comme agent indispensable du développement urbain. Concrètement, la Friche est alors rattachée au périmètre Euroméditerranée et la Ville de Marseille devient propriétaire des lieux.
En 2001-2002, le site est « îloté » en 3 pôles : la mise en œuvre d’un pôle patrimonial et institutionnel d’un côté (Centre Interdisciplinaire de Conservation et Restauration du Patrimoine, Archives Municipales, Réserve des Musées de Marseille et de l’INA-antenne Méditerranée) et d’un pôle multimédia (industries de l’audiovisuel et du multimédia) de l’autre.
Le troisième « îlot » se définira donc, en 2002, dans le frottement aux deux autres, en tant que pôle d’auteurs dédié à la culture vivante. Le choix du réalisateur marseillais Robert Guédiguian à la présidence de Système Friche Théâtre est alors sans équivoque : le cinéma, à la fois industrie et art, représente ce rapport à l’économie, mais, dans le même temps, il permet de révéler la notion d’auteur et fait valoir l’écriture comme fondement du geste artistique.
La Friche la Belle de Mai est depuis l’origine un vaste « terrain de jeu » de 45 000 m2 permettant d’expérimenter une gouvernance et des processus de transformation atypiques.
Un premier schéma directeur intitulé « L’air de ne pas y toucher » est élaboré en 2002/2003. Il propose de composer avec l’existant en structurant des lieux adaptés à la ville et aux 70 structures qui s’y sont progressivement installées. Deux autres schémas directeurs viennent transformer le site : en 2005, « L’air 2 ne pas y toucher » et en 2008, « Jamais 2 sans 3 ». Les premiers travaux permettent la réalisation du skatepark et la création du restaurant les grandes Tables et du Studio.
En 2007, une Société Coopérative d’Intérêt Collectif (SCIC), présidée par Patrick Bouchain, est fondée pour poursuivre et amplifier la mutation de ce véritable quartier de ville. La SCIC, dont la gouvernance est organisée en trois collèges (résidents / proximité / contributeurs) rassemble dans son conseil d’administration des usagers, des opérateurs culturels et les institutions publiques. Ce système de gestion collaboratif est unique en France pour un projet de cette envergure.
La ville produit des friches, des délaissés sans valeur, des choses gâchées qui sont en dehors du système économique et technocratique. Ce sont en fait les scories d’une économie, des objets abandonnés dont personne ne veut. Ce que la Friche a montré avec d’autres c’est qu’une autre voie s’ouvrait et que des gens qui n’étaient pas impliqués dans la fabrication de la ville, des artistes, des intellectuels, des habitants, s’engageaient et proposaient de nouveaux modes de fabrication de l’urbain, qui anticipe sans programmer, sans figer.
Patrick Bouchain, architecte
La Ville de Marseille, partenaire du projet aux côtés des autres collectivités territoriales (Région Provence Alpes – Côte d’Azur, Département des Bouches du Rhône) et de l’État – Ministère de la Culture et de la communication, confie la responsabilité foncière de cet îlot de 45 000 m2 à la SCIC via un bail emphytéotique de 45 ans.
Dans un premier temps, la SCIC portera uniquement les investissements qui seront réalisés grâce à l’élan de Marseille Provence 2013, Capitale Européenne de la culture. Système Friche Théâtre (SFT), association fondatrice du « projet Friche », sera présidée dès 2010 par Marc Bollet (avocat, il fut Bâtonnier de Marseille et sera, en 2014 et 2015, président de la Conférence Nationale des Bâtonniers). Ainsi durant quelques années les deux structures vont coexister, l’une portant le projet artistique et culturel, l’autre les aménagements.
SFT sera désactivée fin 2013, la SCIC s’emparant alors de l’ensemble des compétences et missions. Alain Arnaudet (il fut directeur de plusieurs projets et établissements culturels en France et à l’étranger) est nommé directeur de la Friche en 2011, prenant la succession de Philippe Foulquié.
Marseille-Provence 2013 Capitale Européenne de la Culture a permis à notre territoire de valoriser la richesse de son patrimoine et le foisonnement artistique et culturel qui l’animent. La Friche a participé activement à ce grand événement proposant une programmation riche et diverse durant toute l’année.
Cet événement a été le catalyseur permettant de rassembler les fonds nécessaires à une opération de transformation d’envergure conduite par l’agence ARM Architecture de Matthieu Poitevin (aujourd’hui Caractère Spécial). Ainsi, la Friche aménage de nouveaux espaces de travail et de circulation et se dote de plateaux d’exposition de grande qualité, la Tour-Panorama. Ces travaux permettent de rendre accessible le toit terrasse de 8500 m2 qui offre un panorama exceptionnel sur la ville, jusqu’à la mer.
ARM assurera également la maîtrise d’ouvrage de la crèche de la Friche, ouverte en 2012. La création de cet équipement de proximité marquera le début d’une nouvelle orientation du projet – conforme au projet fondateur et aux schémas directeurs -, la Friche s’engageant désormais volontairement dans les champs social et de formation. Cette nouvelle structure, présidée par le pédopsychiatre Patrick Ben Soussan, accueille une soixantaine d’enfants d’habitants du quartier ou de personnes y travaillant.
En 2013, l’Agence Construire réalise les Plateaux, deux magnifiques salles de spectacle en bois de 370 et 150 places assises réalisées en à peine 6 mois de travaux ! Profitant du dispositif « Quartiers Créatifs » de la Capitale Européenne une aire de jeu pour enfants est créée par les architectes Encore Heureux tandis que les artistes paysagistes Jean-Luc Brisson et David Onatzki organisent des jardins partagés pour les habitants du quartier. La fréquentation du lieu augmente très fortement : en 2013, 500 000 visiteurs ont ainsi fréquenté le site et les événements qui s’y déroulaient.
Désormais reconnue comme un outil majeur de l’action artistique culturelle et du rayonnement de la région, la Friche la Belle de Mai, source d’inspiration pour beaucoup de lieux en redéfinition, tant par son modèle de gouvernance que par son ancrage dans le quartier, le développement de concepts de maîtrise d’usage, poursuit son développement avec le soutien et la complicité de ses partenaires publics.
En octobre 2014 elle « sort de ses murs » en créant – suite à l’arrêt en 2013 de l’activité théâtrale qui s’y déroulait sous la direction artistique de la Compagnie Chatot – Vouyoucas – le cinéma Le Gyptis au cœur du quartier de la Belle de Mai (maîtrise d’Œuvre Olivier Moreux).
En 2015, l’Institut Méditerranéen des Métiers du Spectacle est construit (maîtrise d’Œuvre Duchier – Pietra). Ce nouvel équipement rassemble les élèves de 3ème année de l’Ecole Régionale d’Acteurs de Cannes – Marseille (ERACM) et les élèves techniciens du Centre de Formation des Apprentis piloté par l’ISTS d’Avignon. Un café – librairie « La salle des Machines » est ouvert. Il jouxte le Playground, aire de sports urbains créée dans le prolongement du skate park.
En 2017, une nouvelle tranche de travaux est achevée : elle inclut la création d’une Plateforme dédiée aux activités pour les jeunes, y associant plusieurs résidents et partenaires (Maison du Vallon, Maison pour Tous, Môm’Friche). La Place des Quais, espace de détente, librement appropriable, est construite à cette période, le long des voies ferrées.
Ainsi, l’ouverture au quartier se poursuit.
De nouveaux résidents font également le choix de la Friche. Le gmem – Centre National de Création Musicale de Marseille – rejoint la Friche début 2017 et dispose de studios de répétitions et d’un exceptionnel espace de création. Ce dernier projet de transformation / construction est à nouveau confié à l’architecte Matthieu Poitevin.
En mai 2018, le Pavillon français de la Biennale d’Architecture de Venise inaugurait l’exposition Lieux Infinis à partir de 10 lieux témoins partageant tous l’ouverture sur l’imprévu pour construire sans fin le possible à venir. Cette exposition, parmi laquelle la Friche et son histoire figuraient, nous disait l’actualité et la nécessité de poursuivre notre quête d’infinitude pour se projeter dans l’avenir à la recherche de nouvelles pratiques et de nouveaux usages, avec la certitude que l’art et la culture étaient vecteurs de régénération urbaine et sociale.
Aujourd’hui, un nouveau parking et des espaces paysagés viennent achever la piétonisation de cet espace public de 100 000 m2 (Kristel Filotico et Atelier Roberta).
Nous n’avons pas terminé d’écrire l’histoire de la Friche la Belle de Mai, terrain d’expérimentation artistique et urbaine, projet sociétal, aventure citoyenne singulière…
« Un Laboratoire Urbain »
un film de Xavier Privat – 2020