Tout a commencé par une étude qui mit un peu le feu aux poudres. Après plus de 25 ans d’existence, émaillés de nombreuses expériences élaborées par une communauté d’acteurs et d’actrices, forte d’une reconnaissance institutionnelle incontestée, d’attentes nombreuses du territoire marseillais, le destin singulier de la Friche se heurte à un écueil inconnu jusqu’alors : L’époque glorieuse post-2013 est révolue, la Friche, toujours en mouvement, toujours en travaux, toujours en construction, aurait presque des airs de finitude…
Alors quoi ? Et dans 10 ans ? Et dans 20 ans ? Et dans 30 ans ? Donc une étude. Comme un diagnostic. Pour, après tant d’années d’enthousiasme bâtisseur, de réussite incontestée, d’aura nationale et internationale (le nombre des visites d’étude, de recherches universitaires qui se penchent sur le « modèle Friche » en attestent), un retour sur elle-même. Ou plus exactement, sur nous-mêmes.
Finalement, comment allons-nous ? Qui sommes-nous ? Ou, que voulons-nous être ? Isabelle Horvath, enseignante chercheuse à l’université de Strasbourg, et Gaëlle Deschamps mèneront auprès des résidents frichistes de longs entretiens en 2019.
Une année de recherche, 31 entretiens individuels, 2492 phrases témoins : autant de ressentis, inquiétudes, paroles sensibles et points de vue subjectifs interrogeant la Friche par tous les bouts : son rôle, son ambition, ses manquements, ses désirs.
« Friche qui es-tu, Friche que veux-tu ? », le premier résultat de cette étude est présenté à l’automne 2019 à la communauté frichiste.
Non sans frictions, elle met au jour la Friche telle qu’elle se vit, bien et mal, pleine d’espoir et pleine d’aigreur, mais souligne surtout le besoin impératif de renouer le dialogue, de réinterroger la coopération et le désir de vivre et de faire ensemble sur ce territoire, de se tourner vers l’avenir d’une manière collective et positive.
Réfléchir ensemble
Le mouvement est donc lancé. Autour d’un petit noyau composé du comité de direction de la SCIC et de trois sociétaires formant le groupe projet, les sujets de travaux vont s’articuler autour de 4 thématiques : gouvernance (ou comment redonner tout son sens et toute sa capacité d’invention à la gouvernance coopérative et au partage de la décision), rôle et fonctionnement (ou comment être, vivre et travailler ensemble, mettre en place les outils partagés d’une co-responsabilité qui engage et protège), modèle économique et entrepreneuriat culturel (ou comment envisager la question artistique et culturelle comme entreprendre, désir de faire et d’agir), et art-culture-éducation-social (ou comment la Friche, au croisement d’enjeux articulant l’art, la culture, l’éducation et le social affirme son désir et son ambition d’ouverture et d’hospitalité, du local au global).
Tout le monde peut participer, ce sera le principe de base. Les directeur·trice·s, les salarié·e·s, les membres du collège de proximité (habitant·e·s du quartier), résidents sociétaires ou pas, concerné·e·s de longue date ou plutôt récent·e·s… tout·e·s celles et ceux qui font la Friche ont la possibilité de participer.
Pendant plusieurs mois, entre septembre et juin 2021, ces 4 groupes se mettront donc au travail, régulièrement, consciencieusement, attentifs à ce que le processus de coopération et d’introspection soit de répondre aux interrogations de la communauté Friche quant à son fonctionnement, à son désir d’être actrice des transitions qui agitent le monde, de se montrer responsable et innovante quant à sa gouvernance et à la réalité de ses capacités de coopération.
La diversité des statuts présents dans les groupes fait déjà toucher du doigt ce que pourrait être une Friche plus fluide, et plus en dialogue. En effet, quelles sont les problématiques des habitant·e·s du quartier quant à la Friche ? Comment développer la co-responsabilité du « commun » qu’est le site de la Friche ? Comment mieux mutualiser et mieux nous organiser ? Comment structurer des espaces d’expérimentation ? Comment intégrer plus consciemment les enjeux écologiques autant que ceux des droits culturels ?
Les débats dans ce lieu souvent abrupt seront à son image, tantôt dans une discussion agitée, nourrie, plurielle, tantôt plus apaisée. Toutes et tous cependant, dans la diversité de leurs expériences, reconnaissent la qualité première de « se retrouver », de partager, de mettre en débat dans un cadre donné hors de leur quotidien professionnel pour se consacrer à l’objet commun qui les concerne et les dépasse toutes et tous : l’avenir de la Friche la Belle de Mai.
Un podcast, réalisé par Radio Grenouille, retrace, à plusieurs voix, ce parcours unique qu’a été l’écriture collective de ce nouveau schéma d’orientation coopératif.
Le regard de Joëlle Zask
Au mois de mars 2021, il est temps de faire un premier bilan, de se retrouver ensemble pour échanger sur l’avancée des travaux de chacun des groupes. Un séminaire est donc organisé où chaque groupe met en partage ses travaux, sous l’œil de la philosophe Joëlle Zask, invitée par le groupe projet à porter son regard de spécialiste des processus participatifs sur la démarche et les résultats des groupes de travail.
Comment peut-il régler politiquement cette dualité d’être à la fois : un usager, un occupant, un locataire, un dirigeant de structure de gestion ? Cela exprime l’originalité et la complexité de l’organisation.
Extrait des entretiens des résident·e·s avec Isabelle Horvath, 2019
Joëlle Zask commente et alimente le groupe de ses propres réflexions sur les travaux présentés : à la trilogie de la participation (« prendre part, apporter une part, recevoir une part ») dans un processus démocratique, elle interroge la Friche sur le type de récit dont elle a besoin aujourd’hui (histoire officielle ou histoire révisée ?), livre des définitions de la culture et du rapport au quartier, nécessitant selon elle une réciprocité : nécessité de se mettre dans les dispositions d’apprendre des autres, elle pointe également du doigt l’absence dans les réflexions communes de la notion d’individu mais également de l’ambition universelle dans la réflexion collective.
La naissance du SOC
En juillet 2021, le travail prend fin et le Schéma d’Orientation Coopératif est voté par l’Assemblée générale de la société coopérative d’intérêt collectif.
Il se raconte dans ses intentions et dans son déroulement par une écriture partagée, puis, en 4 chapitres développe diagnostics et propositions de réalisations concrètes, qui restent à mettre en œuvre collectivement. S’il est l’aboutissement d’un travail collectif (il servira par ailleurs de base à la négociation de renouvellement de la convention de mandat avec la ville de Marseille à l’automne), il est avant tout un début.
Début d’une nouvelle vie coopérative, avec l’intégration de 12 nouveaux sociétaires, principalement issus des rangs des personnes qui ont travaillé sur le SOC – mais pas seulement.
Début d’une nouvelle aventure collective : celle de revoir les processus de décision, de mettre en place une plus grande collégialité qui met à l’œuvre la notion de coopération défendue dans le SOC.
L’ambition également de faire valoir ses compétences en matière d’ingénierie culturelle : les savoir-faire dans la construction de tiers-lieux et l’intégration dans des instances nationales, compétences en termes de formation et de design de services, défense sa place dans la possibilité d’influencer et d’expérimenter de nouvelles politiques culturelles… en ne renonçant en rien à son ADN art-éducation-social.
La Friche aura 30 ans en 2022. Une nouvelle direction générale, celle d’Alban Corbier-Labasse, succède à Alain Arnaudet qui a initié ce mouvement de réinvention coopérative.
Les herbes folles sont vivaces
Manifeste de la Friche la Belle de Mai
Des groupes de travail sont à l’œuvre pour rendre tangibles les propositions développées : une réécriture des statuts pour permettre un élargissement du sociétariat, un groupe de travail sur l’écriture partagée d’une charte, un autre sur le récit commun (dans la perspective des 30 ans), sur les relations entre la Friche et l’extérieur (le groupe relations)… et une envie de travailler et d’habiter ensemble la Friche, de réinvestir ce Nous expérimenté pendant quelques mois et qui a redonné du sens aux individus comme au projet Friche.
Face aux inondations et aux sécheresses à répétition, la Friche Belle de Mai s’apprête à accueillir une micro-forêt et des dispositifs de récupération d’eau de pluie à grande échelle. Fidèle à son ADN artistique, l’institution trentenaire prend soin d’adosser ces expérimentations à des actions socio-culturelles. Une voie pour faire entrer l’art et les citoyen·nes dans la fabrique de la ville.
Véritable laboratoire permanent, la Friche s’inscrit dans des démarches expérimentales qui viennent bousculer les habitudes et casser les codes de la production artistique. On y questionne les méthodes de production, leurs impacts environnementaux, les liens avec les différents publics, son ancrage territorial… Zoom sur le projet Future Divercities.
Fin novembre 2023, à l’occasion de l’événement #PLUS20, la Friche rassemblait une centaine d’habitant·es et d’acteur·ices locaux autour d’un exercice ludique : imaginer le futur de leur quartier à l’horizon 2043. Retour sur cet évènement et ses enjeux avec Pioche Magazine.
La librairie, les expositions, le café La Salle des machines et le restaurant Les Grandes Tables modifient leurs horaires d'ouverture à partir du 24 décembre : pour en connaître le détail, consultez notre rubrique INFOS PRATIQUES.